June 10, 2024
par AKONGO
Dans notre article précédent, nous avons vu que le bien-être d’un animal est défini comme un état individuel et variable au cours du temps qui dépend de la perception subjective de l’animal. Les caractéristiques de l’espèce, l’environnement, les congénères, les relations avec l’humain, la capacité de choix et de contrôle….sont autant de facteurs qui vont influencer l’état de bien-être d’un animal.
Tout d’abord, la prise en compte des caractéristiques biologiques de l’espèce représente un point clef : le régime alimentaire, la distribution géographique, l’organisation sociale, les modes de communication, les capacités cognitives… autant d’éléments à connaître avant d’accueillir une espèce.
Par exemple, les seuils de tolérance aux variations de températures ambiantes vont différer d’une espèce à l’autre. Ainsi chez les renards, la température à partir de laquelle on observe une modification de l’afflux sanguin dans les extrémités (phénomène de vasoconstriction, qui peut être douloureux) diffère selon l’espèce : elle est d’environ -10°C chez le renard polaire, -5°C chez le renard roux et autour de 10°C chez le fennec (Klir & Heath, 1992 ; Maloly et al., 2009). En captivité, il est donc essentiel d’adapter les infrastructures en fonction du climat subit localement par les animaux (en s’assurant par exemple qu’un fennec hébergé en France ait toujours accès à une température supérieure à 10°C).
Tous les éléments du milieu de vie peuvent impacter le bien-être de l’animal. Le milieu de vie correspond à l’environnement physique (ex : enclos et bâtiment) et social (congénères, autres espèces présentes et humains). On peut ainsi citer la présence de végétation, la diversité des structures et des substrats, la présence de barrières visuelles pour se cacher des visiteurs et des autres animaux, l’existence de microclimats (zones ombragées, ensoleillées, abritées), de variations de luminosité, etc. On peut également citer la composition du groupe social (groupe reproducteur ou non, liens de parenté, etc.), la qualité des relations entre les animaux (agressions, distance ou au contraire proximité) mais également les relations avec l’équipe animalière (ex : animal stressé, timide ou à l’aise, connaissance des liens entre les animaux, des préférences individuelles). Ainsi, lorsqu’on se penche sur la qualité de l’environnement d’un animal en captivité, il est essentiel de se demander :
Par exemple, deux études récentes chez les serpents des blés (Pantherophis guttatus) ont montré que les serpents préféraient des enclos « enrichis », qui contenaient une diversité de structures (ex : plantes, branches, abris, perches, etc.) et des enclos suffisamment longs pour leur permettre de se dérouler complétement par rapport à des enclos « standards » (peu de structures ou plus court que la longueur de l’animal ; Hoehfurtner et al. 2021a, b). Ces enclos enrichis ou de longueur adéquate offraient en effet bien plus d’opportunités aux animaux pour exprimer leurs comportements naturels (s’installer en hauteur, explorer l’environnement, se mouvoir sur toute leur longueur, etc.) par rapport à ces enclos peu complexes ou plus petits. Enfin, lors d’un hébergement prolongé les enclos complexes ou longs étaient bien plus bénéfiques au bien-être des animaux (ex : animaux plus relaxés, actifs et explorateurs) que les enclos « standards ».
Les individus d’une même espèce, qui vivent ensemble, dans des mêmes conditions de vie, peuvent être dans des états de bien-être différents. Cela est dû aux caractéristiques individuelles comme la personnalité (ex : timide ou téméraire), le statut social (ex : dominant ou dominé), l’âge (ex : juvénile, mature ou gériatrique) ou la santé (ex : maladies chroniques, handicaps, etc.).
Une étude chez les lions d’Asie (Panthera leo persica) a fait le lien entre la personnalité des individus (téméraire vs timide) et le bien-être (Goswami et al. 2020). Les animaux qualifiés de « timides » (agressifs, peu actifs, peu curieux, méfiant, apeuré) utilisent leur enclos de manière peu homogène (ex : évitement de certaines zones), présentent une plus faible diversité de comportements (parmi ceux spécifiques à l’espèce) et plus de comportements stéréotypiques en comparaison aux individus « téméraires » (sociaux, actifs, curieux, extravertis, confiants).
En parc, les bénéfices et les contraintes vont être différents de ceux en milieu naturel. Par exemple, l’animal va bénéficier d’un suivi sanitaire renforcé, de soins en cas de blessures ou de maladies, d’un accès régulier à de la nourriture, de l’absence de prédateurs MAIS la surface disponible va être limitée, l’animal ne pourra pas se déplacer librement (ex : excès restreint la nuit), il ne pourra pas choisir son alimentation, ses congénères, etc. Or, l’état de bien-être d’un animal est lié à sa capacité à pouvoir choisir et contrôler son environnement (Whitham 2013). Ainsi, lorsqu’on observera le milieu de vie d’un animal, on se demandera dans quelle mesure l’animal peut décider :
La méthode de gestion d’un parc zoologique va fortement conditionner la capacité de contrôle et de choix laissé à l’animal (Veasey 2017). Plus la gestion va dépendre des actions de l’humain, moins l’animal aura de choix et de contrôle (ex : distribution de la nourriture à heures fixes, pas de libre-accès la nuit, pas de végétation ou d’opportunités de trouver de la nourriture dans l’enclos). A contrario, une gestion basée plutôt sur l’environnement, permettant de répondre à ses besoins physiques et sociaux lui offrira de nombreuses opportunités de contrôle et de choix (ex : différents microclimats, substrats, libre accès intérieur-extérieur, cachettes, possibilité de fourrager tout au long de la journée, etc.).
Néanmoins, si la complexité de l’environnement est un principe fondamental, son adaptation aux besoins et aux capacités physiques de l’animal est encore plus importante afin que celui-ci puisse l’utiliser dans son entièreté et de façon autonome (ex : individus âgés, jeune, handicapés, etc.). Par exemple chez les primates, l’utilisation d’agrès au sol et en hauteur reliés entre eux ou de différents diamètres de cordes pour assurer une bonne préhension permet de prendre en compte les capacités de chaque individu.
Dans l’enclos de gauche, les animaux disposent d’un enclos uniquement intérieur (peu de variations climatiques). Mais surtout, les visiteurs ont une vue en surplomb et à 360° ce qui signifie que ces gorilles n’ont pas la possibilité de se cacher s’ils le souhaitent. En milieu naturel, ce sont des animaux qui sont terrestres et arboricoles, qui ont tendance à être au sol dans des zones très végétalisées et à se mettre en hauteur pour observer leur environnement et s’alimenter. Or dans cet enclos le sol est en béton, sans substrat souple, le peu de végétation présente n’est pas accessible aux animaux donc peu utile et les arbres qui, bien qu’ils permettent d’accommoder la propension naturelle des gorilles à grimper, sont artificiels et n’apportent ni feuillages ni fruits. Dans cet enclos, aucune variation n’est donc possible sans l’intervention systématique d’un humain qu’elle soit volontaire (ex : ajout par les soigneurs de paille, distribution de nourriture, etc.) ou accidentelle (quand les visiteurs font tomber quelque chose). Les animaux n’ont donc que très peu de choix et de contrôle sur ce qu’ils peuvent faire. En comparaison, l’enclos de droite offre de nombreuses opportunités indépendantes des humains (ex : végétation accessible, dense et variée, enclos extérieur avec variations climatiques et lumineuses, etc.)
Goswami, S., Tyagi, P. C., Malik, P. K., Pandit, S. J., Kadivar, R. F., Fitzpatrick, M., & Mondol, S. (2020). Effects of personality and rearing-history on the welfare of captive Asiatic lions (Panthera leo persica). PeerJ, 8, e8425. https://doi.org/10.7717/peerj.8425
Hoehfurtner, T., Wilkinson, A., Nagabaskaran, G., & Burman, O. H. (2021). Does the provision of environmental enrichment affect the behaviour and welfare of captive snakes?. Applied Animal Behaviour Science, 239, 105324. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2021.105324
Hoehfurtner, T., Wilkinson, A., Walker, M., & Burman, O. H. (2021). Does enclosure size influence the behaviour & welfare of captive snakes (Pantherophis guttatus)?. Applied Animal Behaviour Science, 243, 105435. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2021.105435
Klir, J. J., & Heath, J. E. (1992). An infrared thermographic study of surface temperature in relation to external thermal stress in three species of foxes: the red fox (Vulpes vulpes), arctic fox (Alopex lagopus), and kit fox (Vulpes macrotis). Physiological zoology, 65(5), 1011-1021. https://doi.org/10.1086/physzool.65.5.30158555
Maloiy, G. M. O., Kamau, J. M. Z., Shkolnik, A., Meir, M., & Arieli, R. (1982). Thermoregulation and metabolism in a small desert carnivore: the Fennec fox (Fennecus zerda)(Mammalia). Journal of Zoology, 198(3), 279-291. https://doi.org/10.1111/j.1469-7998.1982.tb02076.x
Veasey J. S. (2017). In pursuit of peak animal welfare; the need to prioritize the meaningful over the measurable. Zoo biology, 36(6), 413–425. https://doi.org/10.1002/zoo.21390
Whitham, J. C., & Wielebnowski, N. (2013). New directions for zoo animal welfare science. Applied Animal Behaviour Science, 147(3-4), 247-260. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2013.02.004